Mairie du 11ème : Les chiens à l’honneur et au déshonneur
Par Marie-Charlotte Belle, auteur du rapport sur les espaces verts ouverts aux chiens parisiens
En cette fin de journée du mois de novembre le parvis de la mairie du XIème arrondissement de Paris est en effervescence. Les esprits s’agitent, s’interpellent pour ne pas dire… s’échauffent. Les raisons de cet émoi ? Une réunion de concertation organisée par la Mairie du XIe suite à une pétition des riverains du square Marcel Rajman contre la présence (autorisée en laisse) des chiens dans le square.
18h30 sonne. Tout ce petit monde monte à l’étage. De part et d’autre de la salle des mariages s’installent les riverains mécontents des immeubles jouxtant le square Rajman et les propriétaires de chiens usagers dudit square et du XIe en général. Dans cette salle haute en symbole, l’union chiens – riverains sera-t-elle prononcée ?
Monsieur le Maire François Vauglin, Madame Joëlle Morel Conseillère déléguée aux espaces verts, à la biodiversité et Conseillère de Paris, chose remarquable, Monsieur Laurent Beuf directeur des espaces verts et de l’environnement, Monsieur Stéphane Martinet Adjoint au Maire chargé de la prévention, de la sécurité et de la médiation, Monsieur Philippe Inisan, chargé de la protection et prévention de la ville de Paris sont présents pour poser sur la table les problèmes et établir le dialogue afin de trouver en concertation un compromis prenant en compte TOUS les usages de cet espace vert.
De leur côté les riverains campent une position des plus légitimes à savoir l’agacement et le mécontentement face à certains propriétaires des chiens irrespectueux. Les problèmes sont exposés calmement bien que parfois un peu violemment : nuisance sonore, non respect de l’obligation de tenir son chien en laisse, insécurité, problème d’hygiène (bien que celui-ci ne soit pas le problème le plus important), dégradation. Les riverains aspirent à un environnement calme et harmonieux.
De l’autre côté de la salle, les propriétaires de chiens écoutent, fulminent parfois. La parole est aux « accusés ». Ils expriment leur incompréhension face au mécontentement des riverains, leur ras-le-bol de l’intolérance des parisiens vis-à-vis des chiens, des nombreuses interdictions subies par les propriétaires de chiens (dans les transports, services publics, parcs et jardins) et donc des difficultés à vivre dans la ville. Certains témoignages criant de vérité rappellent l’apport du chien dans le quotidien : sociabilité, vivre ensemble, bien-être urbain, lutte contre l’isolation, solidarité.
Chacun a besoin de s’exprimer et la mairie joue son rôle de médiateur et de gestionnaire de l’espace public. Il ne s’agit pas de pénaliser l’un ou l’autre mais bien de trouver des solutions en tenant compte de chaque usage et des contraintes d’usages et de site. Des esquisses d’aménagement, de déplacement sont avancées pour ouvrir la discussion. Il est même rappelé que quelques années auparavant, la brigade cynophile de Paris proposait aux propriétaires de chiens des cours d’éducation canine. Il pourrait donc être envisagé que de tels cours soient accueillis dans un espace ouvert aux chiens.
L’objectif de cette réunion aura été de permettre aux habitants de se parler et d’initier une réflexion sur l’aménagement du square Marcel Rajman. Chose novatrice dans la vie municipale de Paris, le XIe est une des rares mairies à être consciente que chaque habitant doit trouver sa place dans la ville et accéder au même niveau d’espace public du moment que la cohabitation entre usagers est respectée.
D’autres réunions suivront pour définir précisément les usages et le maintien ou non des chiens dans cet espace vert et leur éventuelle relocalisation. Au final ce jeudi 20 novembre, la salle de mariage aura été davantage une salle de conciliation mais aucunement de divorce et pas encore de mariage entre riverains et chiens parisiens.
———————————————————————————————————————————————————————————————————————————–
De l’éducation et des espaces de liberté
Par Christine d’Hauthuille, coordinatrice du comité OKA
Si nous ne pouvons que saluer l’excellente initiative de la mairie du 11ème de rassembler les habitants pour discuter canin, comment ne pas regretter qu’il faille attendre des problèmes pour se mettre autour d’une table et considérer la place du chien en ville ? A Paris les chiens sont nombreux, environ 200 000, ils aimeraient pour le bonheur de leurs propriétaires y trouver leur place. Paris ne peut plus continuer à faire comme si les chiens n’existaient pas alors qu’aux yeux de leurs maîtres ils apportent de la chaleur, une présence réconfortante et surtout la force de l’amour, des manques dont souffrent beaucoup de citadins.
En multipliant les interdits on se prend à les braver, c’est bien connu. Plus des trois quarts des parcs et squares sont totalement interdits aux chiens et seul un petit square du 14ème les autorise en liberté.
Le square Rajman permet l’accès des chiens en laisse, mais pas en liberté. Selon les propriétaires il y avait un accord tacite avec la mairie depuis de nombreuses années. Même si le lieu n’est guère adapté, il est connu dans le quartier et quitte à se mettre hors la loi, les propriétaires se sont passés le mot : « Ici on peut lâcher les chiens ». De nombreux chiens s’y côtoient avec plaisir, pour certains habitants du quartier c’est tout le contraire : l’aboiement des chiens heureux a le don de les exaspérer : « C’est invivable, nous vivons un enfer » résume assez violemment un riverain.
Pour éviter ce genre de conflits certaines villes ont pris les devants. La ville de Grenoble a recruté un éducateur canin depuis 2002, un éducateur qui propose des cours collectifs et individuels mais qui joue aussi le rôle de référent, un médiateur qui fait du consensus entre propriétaires et non propriétaires. Grenoble a bien compris qu’intégrer le chien dans la cité est un bonus pour tous. Si l’intégration comme le rappelle Philippe Denquin l’éducateur de la ville, passe en premier par l’éducation des maîtres, les villes restent très frileuses : « Elles considèrent le chien trop souvent pas le petit bout de la lorgnette, celui de la propreté et des nuisances » regrette-t-il.
Si nous demandons des espaces de liberté et de détente pour que les chiens puissent gambader en toute tranquillité ce n’est pas par caprice : « Un chien qui est toujours tenu en laisse, on l’empêche de communiquer avec ses congénères et à toutes les chances de développer des névroses » rappelle l’éducateur canin du haut de ses quarante ans d’expérience. Et un chien qui a des troubles du comportement ce n’est bon pour personne, son maître perd patience, le voisinage est excédé et le chien qui n’a rien demandé peut finir au refuge.
Tant que les villes ne feront pas appel à un ou plusieurs référents sur le chien en ville, la situation ne pourra évoluer dans le bon sens martèle l’éducateur : « Il faut arriver à cohabiter tous ensemble ! ça ne sert à rien de monter les propriétaires contre les non propriétaires. »
Il est clair que Paris avec ses 462 espaces verts pourrait en concéder certains pour les chiens et organiser de véritables cours d’éducation canine. Tout est question de volonté. Restons optimistes ! Anne Hidalgo en campagne électorale s’était engagée à créer des espaces de liberté et de détente. Nous sommes sûrs qu’elle tiendra parole. Notre rôle est simplement de le lui rappeler et de la convaincre que Paris, comme d’autres villes qui suivraient l’exemple de Grenoble s’en porteraient beaucoup mieux et pour le bien de tous.