J’ai peur des chiens mais je me soigne…
Par Lara Soubeyrand. Journaliste à Paris Match.
Autour de chez moi s’étend une forêt dense, peuplée de marronniers, de boulots, de chênes et de hêtres. Un havre de paix que j’aime parcourir à vélo. Mais voilà. Un jour où je me reposais adossée à mon chêne centenaire, goûtant pleinement à cette nature splendide, une armée de chiens est arrivée. Sans laisse, en aboyant. Avec la rapidité de l’éclair. Sur moi. A hauteur de visage. Une vingtaine peut-être. Sur le moment, je me suis crue la malheureuse actrice d’un mauvais film de Walt Disney. Epagneul, coker, husky, berger belge, bulldogue, saint-Bernard, dogue allemand, caniche. Toutes les tailles, mixité des races… Mon Dieu, que faire ? J’ai si peur des chiens! Après avoir abondamment reniflé mon corps tétanisé, ils finissent par répondre à l’injonction de leur gardien et à se rassembler autour de lui. Un soulagement de courte durée. Reprenant mon vélo, je pars à contresens de la horde pour me retrouver quelques minutes plus tard face à une autre vingtaine de chiens. Je m’arrête net. Ils foncent vers moi. Mon sang se glace. Cette fois, c’est sûr, ils vont me dévorer. Le sang appelle le sang. Il suffit que le pitbull combattif qui me fait face m’arrache la jambe pour que le dogue argentin m’achève de ses crocs acérés. Comme eux, leur gardien sent ma panique et me hurle de continuer à pédaler en leur tournant le dos. Les jambes en coton, je parviens à m’exécuter et m’enfuis, le coeur battant à tout rompre.
Combien sont-ils? D’où viennent-ils? C’est en remontant la route que je découvre avec stupeur six camionnettes grises de promenades de chiens en forêt, garées sur un parking. Un nouveau job. Tant mieux pour ces amoureux des animaux. Mais je pressens que pour moi, l’heure de détente que je m’octroie de temps en temps va tourner au cauchemar. Systématiquement.
La forêt s’étale sur un haut plateau qui domine le bassin parisien. La fois suivante, je décide de me rendre sur l’autre commune, toute aussi bucolique avec ses calmes étangs et sa végétation luxuriante. Maintenant, j’aiguise mon regard, ouvre mes oreilles. Au moindre aboiement, je changerai de chemin. Au cas où. Je longe un mur d’enceinte, le coeur léger, quand j’aperçois au loin des joggers qui courent à côté d’un chien. Un chien trapu. Les oreilles courtes. Un pittbull. Je fais aussitôt demi-tour. Je suis à moins de cent mètres d’eux quand j’entends le maître ordonner au chien de revenir. En vain. Déjà, son souffle court me parvient. En quelques secondes, sa puissance l’a porté jusqu’à moi. Je pédale comme une forcenée. Mes muscles brûlent. Heureusement, le mur finit en angle droit, je prends le chemin perpendiculaire, le chien ne me voit plus, il ne me poursuit plus. Sauvée. Mais terrorisée, je continue ma course folle. Jusqu’à l’épuisement. Sous le couvert des arbres, j’attends en tremblant que les joggers et leur pittbull soient passés. Puis je prends le chemin du retour. Assez d’émotion pour aujourd’hui. Quand j’aperçois, à un croisement, un cheval à l’arrêt. Sa cavalière échange quelques mots avec une personne que je ne vois pas, de l’autre côté du sentier. Je comprends aussitôt. Je viens de passer devant une camionnette de dressage de chiens. Il doit s’agir d’eux. En effet, trois rottweiller sans laisse se tiennent à quelques mètres, assis avec leur dresseur. Je traverse le carrefour et je fuis en implorant le ciel que cette foutue peur me quitte un jour.
Ce jour est peut-être arrivé. Grâce à Daïmon, le minuscule yorkshire de mon amie Christine. Il m’a donné un petit coup de canines à l’annulaire. Pas de sang. Pas grave. Je plaisante : “peut-être que je vais être vaccinée de ma frayeur grâce à lui ?” Il est vrai que je n’ai jamais été mordue. C’est juste la peur du loup. Une phobie. Pour certains, elle se porte sur les oiseaux. Autrement plus ennuyeux, il y en a partout.
Il faut croire que Daïmon m’a (un peu) guérie. Récemment, j’ai croisé la horde de chiens qui se reposait à une croisée des chemins et je n’ai pas fait demi-tour. J’ai simplement accéléré en priant qu’ils ne reniflent pas la peur qui exsude de moi. Ils n’ont pas bougé. Depuis ce passage symbolique et sans encombre, je crois que j’ai enfin accepté cette cohabitation forcée avec nos amis les bêtes.