Jack le bienheureux
par Charles Bourla
Voici Jack, mon pote rescapé des réseaux européens de trafic d’animaux. Nous nous sommes rencontrés il y a dix ans dans une animalerie belge. À l’époque, je n’ai pas du tout l’intention de recueillir un animal dans ma vie citadine, mais l’enquête que nous menons avec une amie journaliste va me faire changer d’avis.
Nous sommes là pour dénoncer les pratiques d’un établissement qui importe des animaux depuis les pays de l’Est, dans de très mauvaises conditions. Les chiens sont choisis très jeunes pour favoriser les achats impulsifs. Rarement sevrés, ils ne sont pas vaccinés non plus. Ceux qui survivent au trajet finissent dans les rayons, prêts à la vente. Jack est l’un d’entre eux. Dans sa cage, les yeux à peine ouverts et la truffe encore toute rose, il tremble sous le regard d’un caniche qui n’a pas réussi à séduire un nouveau maître assez rapidement. Blessé et traumatisé, il risque de finir ses jours ici. Je craque et nous quittons la Belgique avec deux nouveaux compagnons !
Arrivée à Paris. Une famille adopte rapidement le caniche, Jack et moi devenons inséparables. C’est un animal très drôle, intelligent et doté d’une forte personnalité. Les premiers mois se passent très bien et nous développons tout de suite une forte complicité. Jack est si jeune que je ne me rends pas compte du potentiel d’énergie que peut développer cette petite boule de poils si craquante.
Même s’il fait rire tous mes collègues, il n’est rapidement plus tenable. Le chien me demande beaucoup d’attention et surtout ne semble pas apprécier mon cher patron, à qui il laisse à plusieurs reprises de petits colis odorants sous son bureau. L’aide d’un maitre chien pour l’éduquer n’y changera rien, il est trop tard, mon Jack n’est plus accepté au travail. Il doit m’attendre seul, toute la journée, dans un petit appartement à mon grand désespoir. Et surtout celui de mes voisins.
Après deux années et demie géniales passées en sa compagnie, je dois me rendre à l’évidence, Jack n’est plus heureux. Il hurle toute la journée jusqu’à mon retour du travail, l’appartement est souvent sens dessus dessous et mes vêtements sont souillés. Le chien ne pense qu’à une chose, sortir pour ne surtout plus rentrer. Je dois trouver une solution.
Aujourd’hui, Jack vit heureux chez mes parents dans le Sud. Il se dépense autant qu’il veut au grand air, et a toute l’attention dont il a besoin. Nous nous voyons fréquemment et, si pour moi c’est toujours le bonheur des retrouvailles, je ressens à chaque fois, chez lui sa fougue et sa joie. Je sais qu’il ne m’oublie pas, reconnaissant de l’avoir sauvé certes mais tellement content aussi de pouvoir vivre sa vie.